Par Mike Whitney
On peut généralement déterminer qui a gagné une guerre en observant simplement "ce qui se passe" à la fin des hostilités. Après l'annonce du cessez-le-feu entre l'Iran et Israël, des millions d'Iraniens ont envahi les rues de Téhéran, entonnant des chants patriotiques et brandissant des drapeaux dans une manifestation spontanée de liesse. En revanche, il n'y a eu ni festivités ni célébrations à Tel-Aviv ou à Jérusalem, où l'ambiance était nettement plus sombre et morose. Ce qui indique que la plupart des gens pensent que l'Iran a gagné la guerre.
Le seuil de réussite de l'Iran dans ce conflit était bien sûr plus bas que celui d'Israël. En tant qu'agresseur, Israël devait atteindre ses objectifs stratégiques pour revendiquer la victoire, tandis que l'Iran devait simplement résister à l'assaut, ce qu'il a réussi à faire avec brio. Que ce critère soit équitable ou non, le résultat est évident : pendant 12 jours, l'Iran a tenu bon, ripostant coup pour coup à l'agression israélienne, jusqu'à contraindre Israël à appeler au cessez-le-feu. En bref, l'Iran a gagné.
Israël a commis plusieurs erreurs de calcul dans son approche de l'Iran, qui ont gravement compromis ses chances de succès. Ses deux plus grandes méprises ont été sa confiance excessive dans ses propres systèmes de défense aérienne multicouches (Arrow 2, Arrow 3, David's Sling, Iron Dome et THAAD), qui se sont révélés terriblement inadéquats pour défendre les actifs stratégiques du pays. Les stratèges israéliens ont également largement sous-estimé l'impressionnante capacité balistique de l'Iran, qui surpasse l'arsenal obsolète d'Israël et se classe parmi les meilleures au monde. Dans notre article de la semaine dernière, nous avons dressé une longue liste des principales installations militaires, industrielles, énergétiques et du renseignement détruites par les missiles balistiques à guidage de précision de l'Iran, et que le système de défense aérienne inefficace d'Israël n'a pas réussi à intercepter. Les experts militaires israéliens ont dû se rendre compte, au bout d'une semaine de combats, qu'ils étaient largement dépassés et qu'ils leur fallait rapidement trouver rapidement une issue diplomatique. Mais étrangement, ils ont obstinément poursuivi leur offensive anémique pendant près d'une semaine, espérant un miracle. Comme le miracle ne s'est pas produit, Netanyahu a poussé Trump à bombarder les sites nucléaires iraniens afin de créer un prétexte pour mettre fin au conflit. En bref, Israël cherchait un moyen de mettre fin aux hostilités bien avant la fin officielle des combats, signifiant qu'il savait que ses objectifs stratégiques ne seraient pas atteints.
L'issue du conflit a été particulièrement instructive pour les dirigeants israéliens, qui réalisent désormais qu'ils sont incapables de gagner une guerre conventionnelle contre l'Iran. Malheureusement, cette leçon a des implications inquiétantes pour le reste du monde, car personne ne pense sérieusement que Netanyahu va abandonner son rêve de toujours d'un Grand Israël s'étendant sur toute la région. Si une guerre conventionnelle contre l'Iran ne peut être gagnée, Israël doit alors passer au niveau supérieur de la confrontation militaire. C'est la raison qui explique probablement le voyage inattendu de Netanyahu à Washington la semaine prochaine. Il tient à voir Trump mener la prochaine phase des combats avec une bombe nucléaire.
À mon avis, les gens sont tellement soulagés que le conflit n'ait duré que 12 jours qu'ils ignorent les signes indiquant que le monde est au bord d'un événement véritablement effrayant. Voici un extrait du Times of Israel de mardi :
"Le Premier ministre Benjamin Netanyahu se rendra à Washington en début de semaine prochaine pour rencontrer le président américain Donald Trump, a confirmé lundi soir un responsable de la Maison Blanche au Times of Israel, alors que Washington intensifie ses efforts pour mettre fin à la guerre à Gaza et libérer les otages retenus là-bas depuis près de deux ans."Cette visite, qui aura lieu le 7 juillet, marquera le troisième voyage de Netanyahu à Washington pour rencontrer Trump depuis le retour du président américain au pouvoir en janvier 2025, et interviendra exactement deux semaines après qu'Israël et l'Iran ont accepté, sous l'égide des États-Unis, de mettre fin à une guerre aérienne de 12 jours qui a vu les tensions latentes entre les deux ennemis jurés éclater pour la première fois en un conflit ouvert...
"Le deuxième responsable américain a déclaré que Trump discutera également de l'Iran et de la Syrie lors de sa rencontre avec Netanyahu. Selon lui, le président prévoit de profiter de cette rencontre pour vanter les succès militaires remportés pendant la guerre contre l'Iran. Bien qu'il s'agisse principalement d'une offensive menée par Israël, les États-Unis s'y sont brièvement joints le 22 juin en attaquant trois sites nucléaires iraniens, larguant des bombes à pénétration profonde sur l'installation souterraine fortifiée de Fordo et tirant des missiles sur les usines de Natanz et d'Ispahan...
"Trump a affirmé que les frappes américaines ont "anéanti" les capacités nucléaires de l'Iran, mais d'autres responsables américains ont donné des évaluations plus mesurées, alors que des doutes persistent sur l'ampleur des dégâts causés au programme et sur l'efficacité de la campagne de bombardements...
"L'Iran a toujours nié avoir cherché à se doter d'armes nucléaires. Cependant, il a enrichi de l'uranium à des niveaux sans aucune application pacifique, a empêché les inspecteurs internationaux de contrôler ses installations nucléaires et a développé ses capacités en matière de missiles balistiques. Israël a déclaré avoir récemment pris des mesures en perspective de l'armement". — Times of Israel
Cet article est en grande partie une diversion visant à dissimuler le véritable motif de Netanyahu, qui est d'entraîner Trump plus intensément dans la guerre d'Israël contre l'Iran. Je vous assure que Bibi ne cherche pas l'avis de Trump sur l'évolution de la situation à Gaza, et que ce ne sont pas les États-Unis qui détermineront s'il y aura ou non cessez-le-feu avec le Hamas. La seule explication rationnelle à la visite surprise de Netanyahu est son intention de persuader Trump d'un enjeu urgent qui nécessite une pression directe pour s'assurer que Bibi "obtienne ce qu'il veut". Une fois que Netanyahu aura convaincu Trump de "passer au nucléaire", il croit que l'Iran sera contraint de capituler, permettant ainsi à Israël d'imposer son diktat impérial dans toute la région. Voici l'ancien inspecteur en désarmement Scott Ritter discutant de l'Iran avec le juge Andrew Napolitano lundi :
"Notez bien ceci : 400 kilogrammes d'hexafluorure d'uranium enrichi à 60 % ont disparu et personne ne semble savoir où ils se trouvent. Les Iraniens ont déclaré les avoir mis en sécurité et qu'ils n'ont pas été touchés par les bombes. Nous savons que depuis janvier 2021, l'Iran produit des centrifugeuses qui ne sont plus comptabilisées par l'AIEA, car Donald Trump s'est retiré du JCPOA en 2018, et la comptabilisation des centrifugeuses faisait partie du régime d'inspection... (L'Iran a mis fin à sa coopération partielle après que les pays de l'UE ont refusé d'honorer leur part de l'accord en levant les sanctions)."L'Iran a déclaré ne plus lié par les termes du traité nucléaire et a empêché l'AIEA de rendre compte des centrifugeuses. On peut construire beaucoup de centrifugeuses en quatre ans, et l'Iran dispose de plus d'une douzaine de sites souterrains similaires à Fordow qui pourraient être facilement convertis. En fait, il était en train de déclarer une troisième installation de conversion d'uranium lorsque le bombardement a eu lieu. Ce que je veux dire, c'est que rien n'empêche les Iraniens de construire une batterie de centrifugeuses avancées dans d'autres sites non déclarés, car ils ne font pas confiance à l'AIEA, qui a espionné l'Iran pour le compte d'Israël et des États-Unis, et a fourni des informations cruciales utilisées pour détruire des installations et assassiner des scientifiques.
"Nous ne savons donc pas où se trouvent les centrifugeuses, nous ne savons pas où se trouve l'uranium déjà enrichi... Et supposons que les Iraniens l'aient enrichi à plus de 90 %, l'installation qui le transforme en métal pour fabriquer une ogive se trouve à 100 mètres sous terre, intacte. Ce qui est clair, c'est que Donald Trump ne sait pas de quoi il parle, ou qu'il ment tout simplement au peuple américain, mais aucun professionnel au monde ne pourra affirmer que le programme nucléaire iranien a été totalement détruit. Les preuves contredisent directement cette affirmation". "Will Trump Nuke Iran ?" — Entretien avec Scott Ritter, YouTube, 6 minutes
C'est écrit noir sur blanc. L'Iran a renoncé à la transparence parce que l'AIEA a utilisé son accès aux sites nucléaires pour espionner Israël. Aujourd'hui, toutes les caméras de l'AIEA ont été désinstallées et les inspections ont cessé. Il n'y a plus aucune surveillance des sites iraniens. Si l'on ajoute à cela la détermination de Trump à empêcher tout enrichissement supplémentaire, on dispose alors d'un prétexte qui servira à justifier les prochaines attaques contre les sites nucléaires iraniens. La seule différence, cette fois, c'est que les bombes "anti-bunker" conventionnelles seront remplacées par une variante de la bombe nucléaire B61-11 à faible rendement et à pénétration terrestre, conçue pour percer des structures souterraines blindées avant d'exploser. Il s'agit là d'une mise à niveau logique par rapport aux GBU-57 Massive Ordnance Penetrators (MOP) précédemment utilisées.
Gardez à l'esprit qu'un certain nombre de fanatiques au sein de l'establishment américain aimeraient voir abaisser le seuil d'utilisation des armes nucléaires, ce qui permettrait d'utiliser ces munitions capables d'anéantir l'espèce humaine sur le champ de bataille ou, dans le cas présent, d'éliminer la menace que représentent des ADM tombant entre de "mauvaises mains". Ce n'est plus une perspective farfelue, mais une probabilité très forte, car de nouvelles alliances se renforcent et remettent en cause la capacité de Washington à préserver "l'ordre fondé sur des règles"qui s'effondre vitesse grand V. La tentation d'utiliser des armes nucléaires "tactiques" finira par être trop forte.
Quoi qu'il en soit, rien ne ferait plus plaisir à un seigneur de guerre sioniste comme Netanyahu que de voir son bon copain Trump mener la prochaine agression contre l'Iran en lançant quelques bombes nucléaires anti-bunker sur Fordo, Natanz et Ispahan. Dans l'esprit de Bibi, cela ouvrirait la voie à la capitulation de l'Iran, suivie de la domination de facto de toute la région par Israël. Jeu, set et match.
Conclusion : Israël a perdu le premier round contre l'Iran, ce qui signifie qu'il doit passer à la vitesse supérieure. Voilà pourquoi Netanyahu a prévu une réunion d'urgence avec Trump, afin qu'Israël puisse activer son plan B. Malheureusement, l'Iran a facilité la tâche de Bibi en rompant ses relations avec l'AIEA, qui a transformé le programme nucléaire iranien en boîte noire. Netanyahu va exploiter l'initiative de l'Iran comme preuve de reprise de l'enrichissement nucléaire, et que l'Iran n'est qu'à quelques jours de développer une arme nucléaire. Trump se sentira obligé d'agir de manière plus agressive qu'auparavant en donnant le feu vert à une attaque plus musclée.
Voici d'autres informations fournies par Scott Ritter :
"Pour finir, je pense que le président Donald Trump est déterminé à mener une politique de changement de régime. Il aimerait voir le programme nucléaire éliminé... mais il s'est piégé lui-même, car que se passera-t-il lorsqu'on découvrira que les sites nucléaires sont intacts (les bombes américaines ne les ont pas "détruits") ? On se retrouverez alors avec un programme d'enrichissement nucléaire que Trump a déclaré ne jamais vouloir laisser exister. Que se passera-t-il alors ?" — "Will Trump Nuke Iran ?" Entretien avec Scott Ritter, YouTube
L'analyse de Ritter est difficile à réfuter, car après tout, il ne fait que relier les points tout en supposant que Trump tiendra sa promesse initiale d'éliminer totalement le programme d'enrichissement d'uranium de l'Iran. Si cela ne peut être réalisé avec des armes conventionnelles, Trump passera alors à l'étape supérieure de l'escalade, à savoir les armes nucléaires. Tout cela semble assez simple.
Selon Scott Ritter :
"Juge Andrew Napolitano— Alors, que va-t-il faire ? Pensez-vous que Trump sera tenté d'utiliser des armes nucléaires contre l'Iran ?"Scott Ritter - Oui... Le fait est qu'il n'y a que deux façons de mettre fin au programme nucléaire iranien. La première : les Iraniens le font volontairement. (Changement de régime suivi de l'abandon de l'enrichissement.) L'autre solution est le recours aux armes nucléaires, et il existe déjà un plan de guerre à cet effet. (Au cours de son premier mandat) Trump s'est vu dire que nos munitions conventionnelles n'étaient pas à même de réaliser la mission, et qu'il faudrait recourir à l'arme nucléaire. Un nouveau plan de déploiement nucléaire a donc été élaboré afin de mettre à disposition des armes nucléaires pour cibler ces installations. Je pense donc que Trump va probablement se lancer dans un long processus de changement de régime, mais si cela échoue, il n'aura sans doute d'autre choix que de faire marche arrière... ou d'utiliser une arme nucléaire.
"Écoutez, la DARPA (Agence pour les projets de recherche avancée de défense, une agence de recherche et développement du ministère américain de la Défense) a mis deux ans, selon le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, pour mettre au point cette "option de frappe" contre Fordow. Si cela ne fonctionne pas, quelles autres options reste-t-il ? (sous-entendant que l'utilisation d'armes nucléaires est inévitable)
"Je crains que l'opposition interne qui pourrait prévenir une guerre ne se manifeste pas, donc, à moins que quelque chose d'autre ne se produise, nous sommes sur la voie qui, dans quelques semaines ou quelques mois, pourrait mener à l'utilisation d'armes nucléaires contre l'Iran". — "Will Trump Nuke Iran ?" Entretien avec Scott Ritter, YouTube
Bien sûr, on peut se tromper. Il se peut que Netanyahu veuille en réalité discuter d'un cessez-le-feu à Gaza avec son cher ami Donald Trump. Mais c'est hautement improbable. Bibi est focalisé sur l'Iran, le dernier obstacle de taille au rêve sioniste d'un Grand Israël et son hégémonie régionale. Tout ce qu'il a à faire, c'est de convaincre notre président simple d'esprit que l'Iran construit une bombe et que seule une arme nucléaire anti-bunker peut l'arrêter. Cela demandera peut-être quelques efforts de persuasion, mais Bibi est certainement "à la hauteur de la tâche".
Ensuite, il ne restera plus qu'à convaincre les pilotes américains de larguer les bombes.
Mike Whitney
Article original en anglais : Will Bibi Ask Trump to Nuke Iran? Ritter Says « Yes », The Unz Review, le 2 juillet 2025.
Traduit par Spirit of Free Speech
La source originale de cet article est The Unz Review
Copyright © Mike Whitney, The Unz Review, 2025
Par Mike Whitney